Une vie intestinale animée
Lorsque l’intestin gargouille, glougloute ou fait du bruit, personne n’est vraiment à l’aise. Une sensation de bien-être est inhérente à une fonction intestinale optimale. Notre intestin et le microbiote qui le peuple sont une vraie merveille de la nature : une symbiose qui influence notre santé de façon déterminante.
Imaginez : vous êtes à l’opéra, vous vous réjouissez de voir „Carmen“ de Bizet. Le rideau se lève, les comédiens arrivent sur scène mais malheureusement, il manque Carmen et Don José car ils sont tombés malades la veille de la représentation. L'orchestre commence à jouer, les musiciens sont majoritairement présents mais il manque les flûtes et les violons. La représentation se poursuit mais déçu.e ou en colère, vous quitterez probablement l'opéra après le premier acte ! Vous irez vous plaindre car vous vous attendiez à une soirée exceptionnelle où tous les chanteurs et musiciens seraient présents jouant en parfaite harmonie.
L’intestin fonctionne aussi grâce à l'harmonie et la présence de tous les acteurs dont les rôles sont différents et spécifiques. Ceci dit les acteurs de l’intestin ne sont pas des artistes créatifs ! D'un point de vue biologique, ce sont des micro-organismes hautement actifs : des milliards de bactéries qui animent les intestins. La cohésion et l’équilibre doivent prédominer au sein de la flore intestinale afin d’éviter les troubles, les contrariétés et les maladies.
La base de la santé et du bien-être
Les bactéries et les micro-organismes sont omniprésents chez les êtres humains puisqu'ils vivent sur notre peau, dans notre nez, la bouche ou les intestins. Notre tube digestif est peuplé de milliards de bactéries qui peuvent atteindre jusqu'à 2 kilos. Les scientifiques nomment l’ensemble des micro-organismes humains : le "microbiote". Il existe différents microbiotes : celui de la peau, du vagin, de la bouche et aussi de l'intestin. Ce dernier suscite actuellement un grand intérêt scientifique.
Pendant longtemps, l’intestin a été considéré comme un organe futile. Il y a cent ans, le chirurgien de la famille royale britannique, Sir Arbuthnot Lane, admettait même, que l’empoisonnement du corps était dû au gros intestin. Il prétendait que le mieux serait de l’enlever même si celui-ci était sain. Heureusement, cet organe vital a enfin gagné ses lettres de noblesse grâce au développement de la médecine holistique et aux découvertes de médecins et savants comme Ilya Metschnikoff ou F.X. Mayr. "Pour l’homme, l’intestin représente ce qu'est la racine pour l'arbre", aurait ainsi déclaré F.X. Mayr. De nombreuses études scientifiques tiennent compte de cette approche.
Comme dans chaque équipe, les bactéries du microbiote intestinal ont des rôles et fonctions spécifiques. Certaines bactéries veillent à ce que la muqueuse intestinale reste saine, d'autres à ce que la digestion et le système immunitaire fonctionnent de manière optimale. Des "bonnes" bactéries permettent aussi que les germes nocifs soient neutralisés. Ces micro-organismes nous protègent aussi des infections en modifiant le pH du milieu intestinal et en construisant une barrière dense afin qu’aucun envahisseur nuisible ne survive. Ils favorisent aussi la création d’immunoglobuline-A (IgA) qui renforce le rôle de défense de la barrière intestinale et évite l’apparition d’allergies. Les études scientifiques actuelles nous en apprennent de plus en plus sur le microbiote intestinal : on sait aussi qu'il influence notre système nerveux, notre perception et ressenti de la douleur et la manière dont nous assimilons les aliments.
Les bactéries qui nous veulent du bien (et les autres)
Le microbiote de l’intestin humain contient cent fois plus d'informations que le génome humain. Le décoder, c'est-à-dire reconnaître et expliquer les innombrables souches et groupes de bactéries, n'est devenu possible que grâce au séquençage, une technique de biotechnologie qui permet de décoder le matériel génétique humain depuis le début du XXIe siècle. On a ainsi découvert qu'il existe des bactéries appelées Firmicutes et Bacteroidetes, qui sont idéalement présentes en quantité égale dans les intestins afin de pouvoir assimiler nos aliments de manière optimale. Autrement dit, une flore intestinale bien portante fait en sorte de ne pas stocker ou évacuer trop de calories mais veille à l'équilibre. Les différentes parties de nos intestins contiennent des quantités variables de bactéries. Le duodénum, par exemple, est moins bien peuplé car l'environnement y est trop acide - elles ne pourraient pas y survivre. Les plus connues de nos "bonnes" bactéries, les lactobacilles, se trouvent dans l'intestin grêle, tout comme les entérocoques, qui sont importants pour le système immunitaire. La plupart des bactéries se sentent à l'aise dans le gros intestin, il s'agit principalement de bifidobactéries bénéfiques, bien que des bactéries pathogènes y soient également présentes.
La force de l’arbre vient de ses racines, celle de l’être humain de son intestin.
Bactéries actives et utiles
Les lactobacilles et les bifidobactéries sont extrêmement utiles pour lutter contre des micro-organismes pathogènes ou potentiellement désagréables. Elles libèrent l’intestin et les villosités intestinales des restes d'aliments en décomposition et forment une barrière au niveau de la muqueuse intestinale afin que des toxines et des substances toxiques ne puissent pas pénétrer dans l'organisme via la circulation sanguine. En plus, elles stimulent la production en vitamines, enzymes, acides aminés et acides gras essentiels. Les lactobacilles et les bifidobactéries sont donc des bactéries intestinales très actives qui peuvent parcourir l'appareil digestif pour se rendre jusqu’au gros intestin. Il est important que les "bonnes" bactéries prédominent dans les intestins. Cela peut être favorisé grâce à l'apport de compléments prébiotiques ou probiotiques. De nombreuses bactéries dites probiotiques font l'objet de recherches approfondies depuis des décennies.
Les bactéries probiotiques peuvent combattre les agents pathogènes à l'origine des diarrhées, favoriser la digestion par la production d'enzymes ou encore stabiliser le système immunitaire et servir ainsi de barrière protectrice contre les allergies, la neurodermite ou l'asthme. Toutefois, les allergènes peuvent également pénétrer dans le sang si l'intestin devient perméable. Cela peut se produire lorsque l'organisme est affaibli, par exemple par des antibiotiques ou le stress puiqu'ils éliminent une partie des bactéries ou altèrent la muqueuse de l'intestin. Dans ce cas, ni notre système immunitaire ni les autres mécanismes de protection ne fonctionnent, et nous souffrons soudainement de rhume des foins ou d'éruptions cutanées.
L'intestin est un organe très sensible qui peut réagir à un changement d'une seule souche de bactérie en modifiant l'ensemble du microbiome. La recherche montre déjà clairement qu'un déséquilibre bactérien peut être à l'origine d'une inflammation chronique de l'intestin, de l'obésité, du diabète, du cancer, des rhumatismes, de l'asthme et de nombreuses maladies auto-immunes, et que cela joue même un rôle dans les problèmes mentaux/émotionnels. La recherche actuelle estime donc que notre microbiote est doté d'un grand potentiel pour nous maintenir en bonne santé, à condition qu'il soit suffisamment fort et bien équilibré.
Quand les intestins souffrent
Il existe aujourd'hui d'excellentes études qui montrent que les maladies infectieuses ont reculé au cours des 20 dernières années grâce aux antibiotiques. En revanche, le nombre d'inflammations chroniques (comme l'asthme, le diabète de type 1, la maladie de Crohn ou la sclérose en plaques) a augmenté dans les mêmes proportions. Les recherches sur les infections montrent également que la prise excessive et non appropriée d'antibiotiques entraînent de sérieux problèmes. Dans de nombreux hôpitaux, on observe des infections dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques, comme la bactérie Clostridium difficile qui provoque une diarrhée. La raison principale : les antibiotiques ne détruisent non seulement les agents pathogènes mais aussi des "bonnes" bactéries. Ils provoquent pour ainsi dire un dommage collatéral. De plus, de nombreux patients développent des gènes résistants aux antibiotiques qui perturbent durablement le microbiote intestinal, ce qui les rend vraisemblablement plus sensibles aux réactions auto-immunes. Avant le développement des antibiotiques, ces maladies n’avaient pas l'envergure qu'elles prennent aujourd'hui. On peut donc en conclure que les médicaments récemment découverts ont contribué à modifier le microbiote. De nos jours, de nombreuses personnes souffrent de déficits immunitaires et de maladies auto-immunes difficiles à traiter. C'est pourquoi de plus en plus de médecins sont convaincus que les maladies chroniques, en particulier, peuvent être combattues à l’aide d’une flore intestinale saine.
Intestins et cerveau : une relation étroite
Il existe un vif échange d'informations entre les intestins et le cerveau. Les modifications du microbiome peuvent également entraîner des changements dans les fonctions cérébrales et dans le comportement. Des études montrent que des personnes atteintes de certains troubles psychiatriques ont une flore intestinale déséquilibrée. Dans le cas de troubles neuropsychiatriques tels que la sclérose en plaques, le syndrome du côlon irritable, les maux de ventre, la dépression, la tendance à être facilement stressé, l'épuisement chronique et l'autisme, il existe des données cliniques qui confirment la corrélation entre ces troubles et l'état de la flore intestinale. Cela s'explique par l'interaction complexe entre le microbiome intestinal et le système nerveux central : on parle alors d'axe intestin-cerveau, à travers lequel ils communiquent. Les scientifiques ont établi que des hormones importantes, comme la sérotonine (l'hormone du bonheur) sont produites avec l'aide de nos bactéries intestinales. Un déséquilibre de la flore pourrait entraîner des changements de comportement, notamment émotionnel, puisque le canal de communication commence dans les intestins, là où les hormones coopèrent avec les nerfs.
Une alimentation de qualité pour les "bonnes" bactéries
Notre alimentation a une influence majeure sur notre microbiome intestinal. Par exemple, certaines souches de bactéries sont plus fréquentes chez les personnes en surpoids que chez les personnes minces. L'interaction entre les différentes souches de bactéries est également responsable des sensations de faim ou de satiété. Le microbiome intestinal ne régule pas seulement notre digestion, il contribue également à décomposer nos aliments de manière à ce que les vitamines et les oligo-éléments puissent être mis à la disposition de notre organisme. Ceci est d'une importance décisive pour notre maintien en bonne santé, car il ne sert à rien de manger des aliments sains ou d'autres substances vitales si nous les excrétons sans en avoir métaboliser l'essentiel. Une alimentation saine et équilibrée est non seulement indispensable mais les bactéries intestinales ont besoin aussi d'une nourriture appropriée. Pour eux, les aliments prébiotiques sont importants, c'est-à-dire les fibres qui favorisent leur activité. La chicorée, le topinambour, le salsifis ou l'artichaut contiennent des quantités abondantes de prébiotiques, que l'on peut bien sûr se procurer en pharmacie. Cependant, si notre flore intestinale a été endommagée par des prises fréquentes de médicaments, le stress ou une mauvaise alimentation, les intestins doivent se procurer les souches bactériennes les plus importantes d'autres manières. Il est particulièrement important d'ingérer les bactéries qui peuvent réellement rejoindre l'intestin grêle et le gros intestin sans être détruites par l'acide gastrique. Au cours des 20 dernières années, la recherche a découvert beaucoup d'informations sur le microbiome intestinal et ses effets sur notre santé. Seule une bonne compréhension de l'interaction entre nos bactéries intestinales rend possible un traitement préventif ou une thérapie. Cependant, cette discipline scientifique est assez récente et il reste encore beaucoup à découvrir et à décrypter. Par exemple, les bactéries qui s'installent dans notre intestin dépendent certes de l'alimentation, du mode de vie, des circonstances et de la prise de médicaments, mais aussi de l'origine géographique d'une personne car cet aspect a également une influence sur la vie présente dans les intestins. Ainsi, les Africains ou les Asiatiques ont ainsi un microbiome différent de celui des Européens. Le microbiome est un gigantesque cosmos dans lequel se déroulent des processus complexes. C'est un territoire passionnant dans lequel la science médicale peut encore expérimenter et découvrir de nombreuses choses qui pourront aider à améliorer notre santé. Une chose est claire : les intestins, jusqu'alors négligés, ont un potentiel énorme pour orchestrer le corps, l'esprit et l'âme. Comme dans un excellent orchestre qui produit une harmonie parfaite grâce à une interaction cohérente.